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Victoire Ingabire : "Je n'ai jamais eu peur d'être emprisonnée"

19 septembre 2018

Après huit ans passés en prison, l'opposante rwandaise Victoire Ingabire, fondatrice et présidente du parti FDU-Inkingi, a été libérée au Rwanda le week-end dernier. Elle demande désormais au président Paul Kagame la libération des autres prisonniers politiques et se dit prête à militer dans ce sens.

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DW : À l'annonce de votre libération, quel a été votre sentiment? Est-ce que vous vous y attendiez?

Victoire Ingabire: Non! Je ne m'y attendais pas, ça été une grande surprise pour moi. J'ai appris la nouvelle aux informations de 23h à la radio rwandaise. J'ai été tellement surprise que je ne suis pas parvenue à fermer l'œil de la nuit.

DW : Vous venez de passer huit ans en prison. A quoi ressemblaient vo conditions de détention ?

V.I. : Les cinq premières années, c'était très difficile parce que j'étais enfermée à l'isolement où il n'y avait aucun contact avec le monde extérieur. Mais ensuite, j'ai été transférée avec les autres prisonnières et ces trois dernières années, je pouvais parler avec les autres, j'avais un contact régulier avec les autres prisonnières.

DW : Est-ce que la décision de vous libérer pourrait être aussi une tactique du président Paul Kagame ?

V.I. : J'espère que ce n'est pas le cas car ça serait malheureux pour notre pays. Non, je reste convaincue que c'est un tout petit pas, timide, parce que vous savez qu'il y a encore neuf membres de mon parti politique qui sont en prison, plus d'autres encore. Il y a d'autres prisonniers politiques comme Mushaidi Déo, Diane Rwigara. Donc, vous voyez bien qu'il y en a d'autres qui sont en prison. Et je profite de l'occasion, comme je l'ai fait le premier jour de ma libération, pour demander au président de la République de continuer à faire des gestes semblables et d'accepter de libérer d'autres prisonniers politiques.

DW : Quelles instructions ou restrictions avez-vous reçues du gouvernement avant votre sortie de prison ?

V.I. : Il y a l'arrêté présidentiel qui mentionne trois restrictions. La première, c'est que je dois me présenter aux autorités locales et au parquet. Chez le procureur, je dois me présenter une fois par mois et si je ne suis pas disponible, je dois envoyer une lettre expliquant les raisons de mon absence. Enfin, la dernière, c'est que je ne dois pas sortir du pays sans l'autorisation du ministre de la Justice

DW : Quel est votre avenir politique, au vu de la situation actuelle du pays ?

V.I. : Je vais continuer mon combat politique pour que ce geste, que le président et son gouvernement ont pris, aide à avoir de l'espace, une ouverture totale de l'espace politique au Rwanda. Cela signifie la liberté et la sécurité pour les opposants du pays parce que quand je suis sortie de prison, par exemple, j'ai été accueillie par les membres de mon parti politique qui m'ont tous expliqué comment ils reçoivent des menaces, qu'on les harcèle parce qu'ils sont membres de mon parti. Donc, c'est ce que je vais demander à notre gouvernement : essayer d'accepter qu'il y ait d'autres opinions ou visions. Je pense que c'est ce qui va construire la force de notre pays. C'est ce qui va sécuriser le développement qu'on est en train de réaliser dans notre pays. On ne peut pas avoir un développement durable sans la démocratie.

DW : Si vous continuez votre programme politique comme vous l'aviez fait auparavant en 2010, est-ce que vous n'avez pas peur de retourner en prison ?

V.I. : Je n'ai jamais eu peur d'être emprisonnée. Je viens d'y passer huit ans et je peux y retourner. Bien sûr, j'espère que le pouvoir ne va pas le faire mais je ne vais pas vivre ou rester dans la peur d'être emprisonnée. Je ne vais pas m'empêcher d'expliquer, de dire, de demander qu'on ait de l'espace politique au Rwanda. Non ! Je vais continuer mes activités politiques. Je vais continuer d'exiger du gouvernement qu'il essaye de faire l'ouverture car comme je l'ai dit, c'est la seule sécurité pour le développement du pays. On doit assurer le meilleur futur possible.

DW : Est-ce que vous n'avez pas de regrets par rapport à votre passé ? Parmi les charges qui pesaient contre vous, il y avait l'idéologie génocidaire.

V.I. : Non, je ne regrette pas mon passé. Je le répète, je n'ai jamais dit qu'au Rwanda il y a eu un double génocide. Ce que j'ai fait c'est de réclamer qu'il y ait aussi justice pour les crimes commis contre le peuple hutu. Peut-être, ce que je regrette, c'est l'endroit où j'ai prononcé ce discours (au Mémorial du génocide à Gisozi, ndlr). C'est un endroit sensible pour les rescapés du génocide tutsi. Alors, là, je le regrette, et j'ai demandé pardon, et je demande pardon encore une fois à ceux qui ont été blessés par les paroles que j'ai prononcées au mauvais endroit. Mais ce que j'ai dit, c'était la vérité.

Propos recueillis par notre correspondant à Kigali