Au Tchad, le dialogue national entre les mouvements rebelles, les représentants de la société civile, les partis d’opposition et la junte au pouvoir reprend ce mercredi à N'Djamena.
Quelque 1.400 délégués sont réunis pour discuter de la réforme des institutions et d'une nouvelle Constitution, qui sera ensuite soumise à un référendum.
Succès Masra, président du parti Les Transformateurs, exige la mise sur pied d'un comité paritaire d'organisation de ce dialogue et des garanties que les membres du Conseil militaire de transition ne seront pas candidats à la prochaine élection présidentielle.
Interview de Succès Masra
DW : Le dialogue national reprend ce mercredi. Allez vous finalement y participer ?
Succès Masra : Nous ne demandons qu'à prendre part au dialogue du peuple dans la légalité et dans la justice. Et nous étions les premiers à demander un dialogue au moment ou personne n'y croyait, au temps du président Déby. Donc, en fait, nous, nous avons même nos propositions prêtes, si nécessaire.
Par contre, ce sur quoi le peuple tchadien nous attend - puisque le peuple tchadien sait que le Tchad n'a pas manqué de dialogue, le Tchad a manqué de sincérité dans le dialogue - il y a deux choses qui manquent pour que ce dialogue ait un caractère sincère.
La première chose, c'est sur la justice qui est synonyme de la neutralité et de l'objectivité. Ceux qui gèrent la transition après le dialogue ne peuvent pas gérer la suite de la chose s'ils veulent être candidats à des élections qui suivront cette période là. Et donc ça, c'est un engagement qu'ils ont pris. Nous leur demandons de confirmer cet engagement.
La deuxième chose, c'est l'égalité des participants, pas l'égalité parfaite en nombre des deux camps, mais l'égalité en terme de participants qui auront un droit de vote des résolutions qui seront adoptées dans la salle. Nous restons très ouverts, mais pour l'instant, les conditions ne sont pas encore réunies.
Mais, vous avez quand même rencontré des facilitateurs pour trouver un point d'entente
Vous savez, les politicos-armés ont eu droit à cinq mois de pré-dialogue. Nous qui sommes à l'intérieur du Tchad, nous sommes plus nombreux et pour certains acteurs, nous avons même plus peut-être de poids politique à l'intérieur du pays. Est ce que nous n'avons pas le droit, nous, d'exiger qu'on s'entende sur des éléments de confiance et de crédibilité avant le dialogue ? Évidemment que nous y avons droit ! Et donc, nous ne demandons pas cinq mois de négociations. Nous demandons des jours qui permettent que nous puissions nous entendre puisque si on ne nous entend pas, alors il y aura deux dialogues en parallèle. Il y aura donc deux chartes à la sortie, il y aura deux séries de résolutions, il y aura probablement deux gouvernements et donc on va s'acheminer vers quelque chose.
Deux gouvernements, deux chartes ? Donc vous organisez votre propre dialogue, mais avec qui vous allez dialoguer ?
Nous avons lancé le 20 août notre dialogue et vous avez vu probablement plus de personnes qui s'étaient jointes à la Place du balcon de l'espoir, plus de 30.000 Tchadiens qui s'étaient mobilisés. Et nous aurions pu organiser une marche sur l'endroit ou l'ouverture de ce qu'il convient d'appeler un monologue. Un Débylogue saison trois, puisque 90 % des participants viennent d'un seul camp, ça, ce n'est pas un dialogue ! Et nous, nous demandons un dialogue dans lequel il y a égalité des participants. Et donc, c'est cela le dialogue que le peuple souhaite.
Donc, nous avons lancé ce dialogue-là avec des rendez vous réguliers qui vont avoir lieu. De plus en plus de gens s'inscrivent en ligne et ces dialogues là s'organisent de manière à ce que c'est un compte à rebours sur 60 jours que nous avons lancé, du 20 août au 20 octobre.
Si on ne veut pas arriver à cette situation de crise ouverte, alors à ce moment là, on a tous intérêt à s'entendre. Voyez donc, nous restons très cohérents sur les bases des exigences de justice et d'égalité parce qu'on a menti au peuple tchadien pendant longtemps. Et c'est pour cela que nous ne voulons plus de ça pour l'avenir. Nous voulons construire quelque chose sur des bases plus solides.
Qui va reconnaître les conclusions de ce dialogue que vous organisez ?
Mais qui va reconnaître comment ? Puisque aujourd'hui, qui est élu ? Vous pouvez me donner le nom de la personne qui est élue aujourd'hui par le peuple tchadien ? Personne ! Vous pouvez me dire qui a rédigé la charte de transition que les militaires ont rédigée en 48 heures ? C'est un groupe de quinze généraux ! Personne n'est élu pendant cette période transitoire. Donc nous avons l'obligation de nous entendre sur la base de la justice, la juste représentation et l'égalité.
Donc ceux qui vont reconnaître, c'est d'abord le peuple. Et ensuite, en deuxième lieu, nous demanderons aux partenaires de choisir leur camp, entre le camp d'un peuple qui veut la justice, l'égalité et un dialogue sincère. Ou alors un monologue, comme ce à quoi les cadres ont été habitués par le passé, sous le nez et la barbe aussi des partenaires qui aujourd'hui reconnaissent bien que les dialogues qui ont été organisés par le passé étaient des faux dialogue. Mais au moment où il fallait nous dire, ils ne l'ont pas dit. Donc, je crois qu'on leur donne là aussi l'occasion eux-mêmes de s'extirper, d'une certaine manière, d'une certaine phagocytose qui a été longtemps organisée.
Pour revenir à vos exigences et à la mise sur pied d'un comité paritaire, mais aussi sur le fait que Déby fils ne soit pas candidat. Justement, le dialogue n'est il pas le moyen d'aborder ce sujet autour de la table avec toutes les parties prenantes ?
Dépersonnalisons le débat. Je vais commencer par la question d'éligibilité. Nous avons, nous, introduit ce que nous appelons "l'éligibilité encadré". Il ne s'agit pas de dire qu'on ne souhaite pas que Déby fils ne soit pas candidat. Non ! Personne n'a peur de l'affronter à une élection. Ce qu'il s'agit de dire c'est que ceux qui gèrent les organes de transition - lui, mais aussi les autres qui gèrent les organes de transition - ne peuvent pas être candidat. S'ils veulent être candidat, ils laissent la possibilité d'organiser la gestion de la transition autrement. Et ça, il [Mahamat Idriss Déby] doit pouvoir le dire en amont, puisqu'il est le garant d'une certaine manière de ces éléments ici à engager. On ne peut pas être juge et partie, Madame, ça c'est un principe de base. Il s'agit simplement de dire cela. Il ne s'agit pas de lui dire "vous n'avez pas le droit d'être candidat". Il s'agit de lui dire : "si vous voulez être candidat, on organise la gestion de la transition autrement". Et ça, vous devez le dire avant, puisque c'est un principe comme le principe de souveraineté, comme le principe d'égalité
Mais il peut aussi le dire pendant le dialogue ...
Il n'a pas besoin de dire pendant le dialogue, puisqu'il ne prendra pas part aux discussions dans le dialogue. Vous voyez. Donc, il doit le dire avant pour que justement, ce qui va être discuté au niveau du dialogue prenne en compte ces principes-là, qui sont des principes universels sur lesquels on ne peut pas revenir. Donc personne ne dit qu'il ne souhaite pas participer au dialogue. Au contraire ! Nous voulons participer à un bon dialogue, un dialogue au service des Tchadiensqui ne reprend pas les mêmes tares que les dialogues du passé. Chaque deux ans, on organise un dialogue. On sait bien que les dialogues du passé ont eu quand même des limites !