Notre invité de la semaine est le cardinal centrafricain Dieudonné Nzapalaïnga, archevêque de Bangui. Alors qu'il se trouvait en mission pastorale dans le nord de la RCA, des rebelles encore actifs dans la zone ont tenté de l'empêcher de la poursuivre avant de se raviser.
Interview avec Dieudonné Nzapalaïnga
DW : De retour de mission pastorale dans le Nord, vous brossez un tableau critique de la zone.
Les gens ont l'impression d'être abandonnés parce qu'il y a une insécurité. Il n'y a pas de présence des forces militaires. C'est le cas effectif de Ouadda (préfecture de Haute-Cotto) où il n'y a pas de militaires, ce sont des groupes rebelles qui sont là. Eux-mêmes le disent : "Ici vous êtes dans les zones rebelles".
Qui dit insécurité, dit précarité, dit pauvreté, dit misère. Et j'ai été touché par cette misère, par les gens qui n'ont même pas d'argent pour acheter un morceau de savon. Ils n'ont pas d'argent pour acheter des habits ni pour manger, et ils ont l'impression que l'Etat et la communauté internationale les ont oubliés.
Au niveau éducatif, il y a un nombre pléthorique d’enfants mais il n'y a pas d’enseignants.
Au niveau de la santé, c’est aussi préoccupant. Depuis deux ans, on n'a pas vacciné les enfants et aussi on ne connaît pas la situation de sérologie des gens. Ça veut dire qu’on ne sait pas s'il y en a qui ont le sida. Et si vous avez le sida, vous avez besoin de votre médicament. Il faut faire 200 kilomètres pour aller trouver des médicaments. Quel est le malade qui pourra faire ce voyage ? C'est impossible. Donc cela veut dire que les gens sont en train de mourir. Ou bien si vous avez la maladie, vous pouvez la transmettre. Donc ça, ce sont des préoccupations.
DW : La présence d’hommes armés constitue l’un des points d'obstruction à cette mission pastorale que vous avez menée dans la zone. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Quand vous avez affaire à un seigneur de guerre, il a le droit de vie et de mort sur vous. Aujourd'hui, il peut décider, demain, il peut décider… c’est comme il veut. Et un rebelle a ces sauts d'humeur que toi et moi on ne peut pas maîtriser. Nous n'avons pas de manière classique de dire qu'on doit agir et autres et donc on est à la merci des humeurs.
La veille, on a eu des échanges gentils, et le lendemain le même colonel rebelle vient et il nous arrête en demandant de repartir. Rien ne présageait qu'on pouvait nous arrêter. On ne nous a même pas signalé la nuit, mais tout à coup l'humeur a changé. Cela veut dire que les humains peuvent changer et la population doit payer le prix fort avec des maltraitances, des rackets.
On a vu des jeunes à qui on a pris leurs motos, leurs bagages. Ils marchaient dans la forêt, seuls, comme ça, des kilomètres. Donc voilà cette question de sécurité. Des endroits laissés entre les mains des rebelles. Ces zones rouges, ce sont des préoccupations pour nous en tant que pasteurs.
DW : Dans cette zone se trouvent encore 20 FACA en otages. C'est dans le Nord aussi. Est-ce que vous avez évoqué ces questions avec les rebelles avec qui vous avez discuté, que vous avez tenté de convaincre de leur parler de la paix en République centrafricaine ?
Nous avons évoqué la question plutôt de ceux qui ont été libérés en disant : voilà des gens qui viennent pour faire des études afin de construire des routes. Parce que, une des raisons évoquées au début, c’est l'exclusion, il n'y a pas de route, il n'y a rien. La route contribue au développement et mais les gens qui viennent pour étudier comment faire des pistes, des routes, on les prend en otage. Est ce qu'on ne devient pas alors ennemi de son propre développement ?
Ce sont des questions qu'on a posées pour les autres frères, étant donné que d'une région à l'autre, les groupes sont différents.. Voilà pourquoi nous avons évoqué la question des pistes ou des gens qui sont partis pour les routes.
DW : Après le dialogue républicain, quelle lecture faites-vous des avancées et de ce qui pourrait amener véritablement la paix en République centrafricaine?
Nous avons toujours demandé à ce que le dialogue soit inclusif. On a vu que certains n'y ont pas pris part. Nous avons constaté aussi que beaucoup sont restés en retrait et ceux qui sont restés en retrait n'ont pas encore enclenché la dynamique. Ceux qui sont au pouvoir continuent leur marche en pensant qu’il ne faut travailler qu’avec ceux qui sont déjà engagés.
Nous, nous pensons que tant qu'il y aura des frustrations, tant qu'il y aura encore des gens en dehors du bateau, nous aurons toujours ces préoccupations et des interrogations. Donc il est temps d'être sincères et authentiques dans le dialogue que nous engageons. Et quand on prend des résolutions, il faut les appliquer.
Ça fait un an, encore un an avec l'insécurité, avec des difficultés financières… Mais nous pensons que rien ne remplacera le dialogue sincère, authentique entre les fils et les filles de ce pays qui aiment ce pays et qui veulent préparer un avenir autre que ce que nous connaissons. Et nous espérons que les uns et les autres sauront taire leurs intérêts égoïstes, partisans pour envisager l'avenir ensemble et ça c'est non négociable. Sinon nous allons tourner en rond.