Le point sur la coopération entre le Burkina et la Russie
7 décembre 2023Une délégation russe a séjourné en septembre à Ouagadougou. Elle a rencontré le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré. Le sujet était celui de la coopération militaire, mais aussi de l'aide économique et du développement du nucléaire civil.
Dans le domaine militaire, l'achat d'armes s'accompagne de formations pour l'armée burkinabè. Une dizaine de militaires russes, officiellement des instructeurs, sont déjà présents à Ouagadougou depuis le mois d'octobre.
La coopération entre les deux pays sur le plan militaire se resserre : après le sommet de Saint-Pétersbourg, en juillet dernier, le général Iounous-bek Evkourov, vice-ministre de la Défense, a séjourné en septembre à Ouagadougou avec une délégation russe qui comprenait aussi le général Andreï Averianov, chef d'une unité du GRU, le service des renseignements militaires russes.
Une coopération "politique"
Cette coopération militaire, destinée à renforcer l'armée burkinabè, s'inscrit en priorité dans la lutte contre les groupes armés djihadistes. Mais ce partenariat avec la Russie semble avant tout stratégique, selon Alassane Zoromé, analyste politique et sécuritaire : "Cette coopération, il faut insister, est plus politique qu'économique parce que sur le plan économique, nous n'avons pas beaucoup à gagner avec la Russie. Mais sur le plan politique, militaire, il y a un intérêt particulier" explique-t-il.
Pour étendre son influence au Burkina Faso, la Russie met l'accent sur des campagnes de promotion de sa propre image. Cela se voit notamment avec la multiplication des drapeaux russes dans les rues.
Mais cette propagande repose aussi sur des campagnes sur les réseaux sociaux, précise Alassane Zoromé. Selon lui, "la Russie a toujours utilisé des moyens peu coûteux pour étendre son influence. Et cette influence, que ce soit en Amérique, en Europe ou en Afrique, ça été le plus souvent l'œuvre des institutions extra-étatiques qui ne relèvent pas forcément de l'Etat central, mais des particuliers. Cela fait qu'on se pose la question de la crédibilité mais ça prend parce que ce sont des informations psychologiquement travaillées qui touchent et qui atteignent des objectifs."
Les commentaires pro-russes sur les réseaux sociaux sont en effet en recrudescence au Burkina Faso depuis plus d'une année. Selon l'organisation All eyes on Wagner, un acteur central dans le domaine serait le Burkinabè Harouna Douamba, directeur de "Aimons notre Afrique (Ana)".
Après avoir soutenu le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, celui-ci a créé une nouvelle filiale média : le Groupe panafricain pour le commerce et l'investissement, qui poursuit une campagne pro-russe au Burkina Faso.
Mais d'autres noms apparaissent dans ce soutien à la Russie, comme la Camerounaise Nathalie Yamb et le Franco-Béninois Kémi Séba, avec son million d'abonnés sur sa page Facebook.
Dans ce contexte, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Jean-Emmanuel Rimtalba Ouédraogo, en séjour à Saint-Pétersbourg, a confirmé que la coopération entre les deux pays est désormais solide.
"Sur le plan diplomatique, sur le plan stratégique et sur le plan militaire, les choses se concrétisent jour après jour. Ce qu'il faut dire, c'est qu'au-delà des questions stratégiques et militaires, il y a aussi des échanges dans tous les domaines. Il y a le domaine énergétique où des accords ont été déjà signés. On a aussi les domaines sanitaires avec des missions sanitaires russes qui ont séjourné au Burkina Faso" avait-il assuré.
La Russie a en effet annoncé, le 13 octobre dernier, la signature d'accords avec le Burkina Faso et le Mali dans le but de développer le secteur nucléaire civil dans ces deux pays. En ce qui concerne le domaine sanitaire, le ministre burkinabè faisait référence à une mission médicale russe qui, en novembre, a apporté un appui dans la lutte contre l'épidémie de dengue. Moscou envisage aussi d'ouvrir un centre culturel russe, ainsi que la réouverture, d'ici fin décembre, de son ambassade à Ouagadougou, qui avait été fermée en 1992.
"Une influence militaire stratégique"
Dans le cadre de la coopération militaire entre les deux pays, des armements russes ont été livrés récemment au Burkina Faso. Ceux-ci sont accompagnés de formations avec la dizaine d'instructeurs russes présents à Ouagadougou.
Lassané Sawadogo, président du Front pour la défense de la patrie, un mouvement proche des militaires au pouvoir, a bénéficié de cette formation assurée par l'armée russe dans le cadre des Volontaires pour la défense de la patrie.
"Tous les accords qui ont été signés par la Russie et le Burkina Faso sont destinés à renforcer la coopération sur la formation des militaires, sur l'achat d'équipements militaires, le travail avec les instructeurs russes qui sont là aussi dans le domaine des renseignements et bien d'autres" explique Lassané Sawadogo, au micro de la DW.
En ce qui concerne les renseignements, la Russie envisage d'échanger des informations avec l'armée burkinabé afin de la soutenir dans sa lutte contre les groupes armés djihadistes.
C'est cette aide militaire qui semble le plus rassurer les Burkinabè selon Ephrem Ouédraogo, un habitant de Ouagadougou : "Une influence politique ne peut pas avoir un impact au Burkina Faso parce que la population ne comprend pas la politique. La majorité de la population est analphabète, mais une influence militaire stratégique, tout le monde la voit et même celui qui ne sait pas lire y adhère" explique-t-il avant de rappeler que "la France a échoué parce qu'elle a surtout fait une politique de verbiage, de conciliation, de communication, mais la population attendait plus que ça".
Cette influence russe au Burkina Faso a débuté avec les deux coups d'Etat de janvier et septembre 2022. Les militaires au pouvoir ont alors exploité un discours hostile à la France et ont fini par exiger le départ, en février dernier, des forces spéciales de l'opération Sabre, basées à Kamboinsin. Moscou en profite depuis pour accroître son influence dans le pays.