1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

L'UE sur la voie d'une criminalisation de la migration

28 juin 2023

Les défenseurs des droits humains tels que ProAsyl critiquent les partenariats promis par les Européens à des pays tiers comme la Tunisie pour qu'ils prennent en charge les demandeurs d'asile.

https://p.dw.com/p/4SzEg

Les 29 et 30 juin se tient le sommet européen qui va entériner notamment la réforme de la politique migratoire de l’Union européenne – c’est-à-dire les règles qui régissent l’accueil des personnes migrantes.

De multiples naufrages ont lieu entre l’Afrique et l’Europe. Au large des Canaries, il y a quelques jours, ou, encore très récemment, en Méditerranée. Des naufrages qui cachent des morts, de la souffrance, des destins de familles déchirées. Et qui seraient pour beaucoup évitables : si on ne contraignait pas les personnes à migrer de manière illégale, si on leur venait en aide en mer, au lieu de les repousser sur les côtes de pays tiers.

Alors de nombreux défenseurs des droits humains s’insurgent contre la politique européenne et ses tentatives de partenariat avec d’autres Etats sur lesquels l’UE semble se décharger de sa responsabilité vis-à-vis des réfugiés.

On en parle cette semaine notamment avec Wiebke Judith, de l’Ong Pro Asyl.

Plus d'un milliard d'aide à la Tunisie

C’est une offre en or que l’Union européenne a formulée à la Tunisie : un paquet de 900 millions d’euros, si le pays parvient à se mettre d’accord avec le FMI sur des réformes. Plus 150 millions d’aide budgétaire immédiate et encore une enveloppe de 105 millions pour la surveillance des frontières et la lutte contre les passeurs.
Hamza Meddeb, chercheur du groupe de réflexion Carnegie Middle East Center, pense que "l'UE espère stabiliser la situation en Tunisie en lui évitant un défaut de paiement de sa dette".

Hamza Meddeb explique que "cela est censé aider le pays à entamer une sorte de redressement. La majeure partie de cette aide n'ira pas à la population tunisienne, elle reviendra à un Etat qui a un énorme besoin de soutien financier."

Le chercheur estme toutefois qu'"il n'y aura pas vraiment de bénéfice direct pour les réfugiés, les demandeurs d’asile ou les migrants, pour être honnête avec vous, en particulier ceux originaires d'Afrique subsaharienne. Ce que l'UE offre est vraiment une pleine coopération de la Tunisie sur la question de la migration, probablement aussi sur la réadmission de, des réfugiés de l'Afrique subsaharienne en Tunisie."

La Tunisie n’est qu’à 150km des côtes italiennes. D’où son importance comme pays de transit pour les candidats à l’émigration vers l’Europe. Les autorités italiennes affirment que plus de 53.800 personnes ont atteint ses côtes depuis la Tunisie, durant les six derniers mois. Soit deux fois plus que pendant toute l’année dernière.
Les morts se comptent par milliers, les personnes disparues aussi, si l’on se réfère aux statistiques de l’Organisation internationale pour les migrations.

Mettre fin aux morts en Méditerranée ?

Lauren Seibert chercheuse à la division des droits des réfugiés et des migrants de l’Ong Human Rights Watch rappelle que l’UE a déjà dépensé, ces dernières années, des millions d’euros pour renforcer les contrôles à ses frontières extérieures par des pays voisins :

"Ce n'est pas vraiment nouveau, déclare-t-elle, mais cela reste très problématique dans la mesure où l'UE cherche à freiner les départs irréguliers depuis la Tunisie, ce qui viole le droit fondamental de quitter le territoire. Tout le monde a le droit de partir. N'importe quel pays, y compris le sien. Chacun a le droit de demander l'asile et chercher à empêcher les gens de partir viole ce droit."

La ministre allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser, était en Tunisie la semaine dernière avec son homologue français, Gérald Darmanin. Au cœur de leurs entretiens avec le président Kais Saied et le ministre tunisien de l’Intérieur : la promesse de la France et de l’Allemagne de verser près de 26 millions d’euros à la Tunisie pour, là aussi, "mieux combattre l’immigration irrégulière". 


Le manque de volonté politique

Wiebke Judith, porte-parole de l’organisation Pro Asyl pour les questions juridiques, explique pourquoi son ONG, qui vient en aide aux personnes migrantes en Allemagne, ne croit pas que ce nouveau partenariat avec la Tunisie soit réellement destiné "à mettre fin aux morts en Méditerranée" contrairement à ce qu’affirment les dirigeants européens.

"Si l’Allemagne et l’Union européenne voulaient vraiment faire cesser les morts en Méditerranée, elles pourraient mettre en place une mission européenne de sauvetage pour venir en aide aux personnes qui sont en danger – et c’est le cas sur ces bateaux surchargés. On pourrait les sauver et les ramener en sécurité, sur la terre ferme, en Europe. Mais il n’y a pas cette volonté politique. C’est pourquoi ils cherchent des pays tiers, comme la Tunisie, ou la Libye, qu’ils payent pour que ces Etats retiennent les réfugiés."

Wiebke Judith poursuit : "On voit qu’on se concentre sur la Méditerranée pour stopper la migration. Sans doute en renforçant les garde-côtes tunisiens ou en donnant de l’argent pour que les frontières soient fermées plus hermétiquement. Et on assiste à un allongement de la liste des pays tiers considérés comme sûrs par l’UE, en direction desquels les Européens peuvent ensuite procéder à des expulsions."

Le droit de partir

"Il existe un droit reconnu internationalement qui garantit aux personnes le droit de quitter un pays, explique la représentante de ProAsyl. Et c’est une critique que nous formulons depuis longtemps face à cette politique européenne qui consiste à coopérer avec les garde-côtes libyens pour rattraper des personnes sur les bateaux en mer et les repousser sur les côtes et les conduire dans des centres fermés en Libye. Même si la situation n’est pas complètement aussi dramatique en Tunisie, il y a eu là-bas des violences racistes, il y a un président autocratique qui ne semble vraiment pas placer la protection des personnes migrantes et des réfugiés au cœur de sa politique. Alors c’est vraiment problématique de soutenir de genre de gouvernements en leur donnant de l’argent pour qu’ils empêchent d’autres personnes d’émigrer."

Le problème des mineurs non-accompagnés

"Nous surveillons particulièrement la situation des enfants, précise Wiebke Judith. Et le problème c’est que les nouvelles règles de demande d’asile prévoient un internement le temps que soit traité le dossier. Les mineurs seront alors enfermés avec leurs familles. Les enfants qui attendent la réponse à leur demande d’asile derrière des fils barbelés, ça existe déjà en Europe. Mais il y en aura de plus en plus. Et il ne s’agit-là que d’un groupe qui a un besoin particulier de protection. Il y a aussi les personnes atteintes de handicap, les personnes traumatisées, les femmes et les hommes qui ont subi des violences sexuelles. Or ces conditions ne permettent pas de leur fournir l’aide dont ils ont besoin et qui leur permettrait, justement, d’avoir plus de chance d’obtenir l’asile en se stabilisant."

Une petite partie en Europe

"Ce qu’il est vraiment important de conserver à l’esprit, c’est qu’on parle en tout de 108 millions de personnes réfugiées ou déplacées, dans le monde. 80% de ces gens fuient dans d’autres pays du Sud global. Une portion infime d’entre eux tente de se rendre en Europe. Et encore moins dans un pays comme le Royaume Uni. Alors comment expliquer que ces pays si riche, en comparaison, ne veuillent pas relever ce défi de l’accueil et préfèrent rejeter cette responsabilité sur des pays plus faibles économiquement ? Simplement parce que les pays riches ne veulent pas définir une politique plus humaine d’accueil des réfugiés ?", interroge Wiebke Judith.

Pourquoi craindre que l'accord passé entre le Royaume Uni et le Rwanda ne fasse des émules?

"Ces accords comme celui passé avec le Rwanda, ou ceux de l’UE avec des pays tiers, vont conduire à un affaiblissement de la protection des personnes réfugiées dans le monde, car pourquoi voulez-vous que des pays comme le Congo ou le Burundi protègent toujours plus de réfugiés si même l’UE ne le fait pas ?

(...)
Pour commencer, il faudrait que ce genre de politique place les droits humains en son centre. Garantir que tous ceux qui le veulent peuvent déposer une demande d’asile. Arrêter la pratique des pushbacks violents pour repousser les gens aux frontières extérieures de l’Europe. Veiller, aussi, à ce que de moins en moins de personnes aient besoin de fuir. Et – et c’est primordial ! -  prendre en considération les souhaits et aspirations des personnes concernées. 
L’année dernière, on a vu avec le cas de l’Ukraine ce qu’il est possible de faire quand il y a une volonté de solidarité : l’Europe a accueilli des réfugiés ukrainiens qui ont obtenu immédiatement des permis de travail, mais aussi la possibilité de choisir où ils voulaient vivre au sein de l’UE. C’était du jamais vu dans la politique d’accueil européenne. Et on a vu tous les bénéfices que cela a quand les gens sont libres de choisir, de se regrouper, qu’on les aide à s’intégrer. Mais cela est loin d’être le cas pour toutes les personnes qui en ont besoin."

Et quand on demande à Wiebke Judith si, de son point de vue, les opinions publiques européennes seraient prête à davantage d'accueil de personnes migrantes, elle répond par l'affirmative : 

"Je pense que oui, une grande partie de la population européenne est ouverte envers les réfugiés quand on leur explique d’où viennent ces personnes, ce qui les a poussées à fuir. Evidemment, l’opinion publique est très influencée par le discours politique. Alors quand la politique ne parle que d’exclusion, d’expulsion, et n’évoque pas du tout ni des réussites, ni de l’intégration, ni des raisons de la fuite des migrants, l’opinion publique se retourne contre les personnes réfugiées. Donc la communication des responsables politique est capitale. Et, bien sûr, plus on aide les gens à s’intégrer, et plus les gens – des deux côtés – vivent ensemble avec plaisir et comprennent qu’il est possible d’accueillir encore plus de gens."

Droits et Libertés  est une émission préparée, produite et présentée par Sandrine Blanchard
Avec un merci cette semaine à Wiebke Judith de ProAsyl et Jennifer Holleis pour les sons

Passer la section A propos de cette émission

A propos de cette émission

Droit et Libertes Teaser

Droits et Libertés

Chaque semaine, Droits et Libertés propose un éclairage sur une atteinte à la dignité humaine, mais aussi sur le combat, mené sous toutes les latitudes, par des défenseurs des droits de l’homme.