Le président russe Vladimir Poutine a procédé à l’ouverture mardi (22.10.2024) du 16e sommet de l’organisation des Brics. C’est le tout premier sommet des Brics après leur élargissement décidé l’an dernier au précédent sommet à Johannesburg, en Afrique du Sud. Deux autres pays africains, l’Ethiopie et l’Egypte, ont ainsi rejoint l’Afrique du Sud.
Le sommet se déroule alors que des tensions ont lieu dans le Proche-Orient. La Russie poursuit sa guerre en Ukraine. Ces crises devraient être au cœur des discussions durant tout le sommet qui s’achève jeudi (24.10.2024).
Dans ce marathon diplomatique de Moscou en direction des pays dits du "Sud global", le président sud-africain Cyril Ramaphosa a donné un motif de satisfaction à Vladimir Poutine, en qualifiant la Russie d'"allié" et d'"ami précieux". M. Poutine lui a répondu vouloir encore "renforcer les relations avec les pays du continent africain". Le secrétaire général de l'Onu, Antonio Guterres, arrivé mercredi à Kazan, devrait s'entretenir jeudi (24.10.2024) de l'Ukraine avec Vladimir Poutine, selon le Kremlin.
Alors que l’Afrique était au cœur du sommet précédent en Afrique du Sud, les enjeux africains sont absents du sommet de Kazan en Russie.
Le stratège et analyste économique congolais Al Kitenge Lubanda, estime que l’Afrique doit trouver sa place dans un rééquilibrage des rapports de force dans le monde.
Transcription de son interview...
Al Kitenge Lubanda : Au fur et à mesure, nous allons nous retrouver avec des intervenants sur tout le continent. Et à mon avis, il faut saluer le démarrage, l'entrée en force de l'Afrique du Nord dans les Brics.
DW : En l'occurrence l'Egypte. La dédollarisation, le multilatéralisme, un monde pas dominé par l'Occident. Est-ce que c'est de cela que l'Afrique a aussi besoin ?
L'Afrique a besoin d'une géopolitique intelligente où elle n'est pas coincée ni par les uns ni par les autres. L'Afrique a besoin d'avoir sa voix et pour avoir sa voix, la concurrence est très importante. Et donc se détacher du carcan et du sérail occidental était une première étape. Il faut éviter de se retrouver coincé cette fois-ci par un autre sérail qui lui peut être celui des Brics. Il est important que dans les Brics l'Afrique trouve sa capacité à pouvoir exprimer ses véritables défis.
DW : Mais justement, vous avez parlé de coincé tout à l'heure ? On le sait, les Brics sont dominés par la Chine qui donc impose son point de vue.
La Chine et la Russie dominent les Brics. Encore une fois, il s'agit là d'une façon différente de faire les choses. Et si cette différence persiste, ça pourra redonner non seulement à l'Afrique la confiance de son autonomie mais également la protection de ses intérêts.
De toute façon, l'organisation des Brics a intérêt à ne pas commettre les mêmes erreurs que l'Occident, sinon elle peut être sûre qu'elle se retrouvera dans les mêmes difficultés.
DW : L'Afrique n'est pas au cœur du sommet qui se tient en Russie.
L 'Afrique n'est pas la seule contrainte des des Brics. C'est exact. Mais l'Afrique a son agenda et l'Afrique doit pouvoir le pousser parce que les Brics n'ont pas été conçus ou mis en place pour les Africains ou pour l'Afrique, tout simplement.
DW : Qu'est-ce que l'Afrique peut mettre sur la table justement au cours de ce sommet ?
Je pense que l'Afrique doit mettre sur la table son équilibre économique et sa prospérité.
DW : La RDC est-elle intéressée ou toujours intéressée par une entrée au sein des Brics ?
La RDC le sera. La RDC a d'abord intérêt à exister en tant qu'entité forte, à pouvoir se donner son propre plan stratégique et bien entendu sa capacité à exister dans la zone de libre-échange économique continental (Zlecaf), comme vous le savez. Et bien entendu, faire partie d'un ensemble beaucoup plus grand est une ambition viable, mais encore une fois qui est une étape après une autre.
DW : Qu'est-ce qu'elle pourrait offrir ? Que peut-elle gagner au sein des Brics ?
Vous savez, aujourd'hui, les matières stratégiques, je parle du cobalt, du coltan, du zinc et de tous les autres matériaux miniers qui font aujourd’hui la puissance de la Chine, viennent de la RDC. Et donc tout le monde sait très bien que la 2ème étape, qui est la demande de la République démocratique du Congo, c'est de faire en sorte que ces minerais soient transformés localement sur le continent et en République démocratique du Congo. Et donc le besoin de la République démocratique du Congo, c'est de transférer la technologie sur le territoire congolais. C'est d'ailleurs ça que les Américains sont en train d'essayer de faire, pour essayer de faire changer la donne sur le pays et en disant, nous, on est capable de mettre de la technologie avancée pour être en mesure de prendre les matières premières que les Chinois extraient pour être en mesure de les transformer sur place. Et donc ça donne une carte supplémentaire à la République démocratique du Congo de pouvoir exister différemment et être en mesure d'être exigeant sur la qualité de ce qui peut être décidé à sa place.
DW : Lors du 15ème sommet en Afrique du Sud, la RDC était invitée en tant que pays ami. Alors, la presse congolaise évoquait en ce moment-là des partenariats commerciaux renforcés qui pourraient être l'un des avantages si la RDC entrait au sein des Brics. Mais justement, pour entrer au sein de ce groupe-là, il faut un vote unanime des 5 pays. Quel argument la RDC peut mettre sur la table justement pour convaincre le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud ?
La RDC a une chance énorme, c'est son réservoir, des matériaux stratégiques, mais également son rôle extrêmement important sur les questions climatiques. Et donc ces deux poids lui donnent un avantage majeur pour être en mesure de pouvoir peser sensiblement dans les discussions. Il faut savoir aussi quand même que la RDC, ce sont les réserves hydroélectriques assez importantes, capables de produire jusqu'à 60 gigawatts d'électricité propre.
DW : Il y a aussi des critères économiques qui sont pris en compte avant une adhésion aux BRICS. La RDC est l'un des pays les plus pauvres au monde. Selon la Banque mondiale, plus de 73 % des Congolais vivent avec moins de 2,15 dollars par jour. Une personne sur six vit dans la pauvreté.
Oui, vous l'avez bien dit avec subtilité, selon les chiffres de la Banque mondiale...
Si ces chiffres étaient exacts, le pays aurait arrêté d'exister. Nous sommes dans un pays qui en deux ans a multiplié son budget par trois. Et ça, aucun chiffre de la Banque mondiale ne l'avait prévu, on est passé de 4.7 milliards de dollars à 12 et puis 16. Et ça il n’y a aucun rapport de la Banque mondiale avant qui l’a vu. Nous sommes un pays à 80 % rural, personne ne mesure ce qui se passe là-bas, ni nous-mêmes ni la Banque mondiale.
DW : Pour l'instant on n'a pas de date précise de l'entrée de la RDC, on ne connaît pas tout le processus. Si la RDC intègre les Brics, ne va-t-elle pas se priver du soutien occidental ?
Nous pouvons à la fois être aux Brics et avoir nos relations géopolitiques avec les Occidentaux sans problème. Et c'est le cas aujourd’hui, nous avons réussi à avoir une certaine liberté d'avoir un certain nombre d'activités avec les uns et d'autres activités avec les autres. Et je pense que cette liberté devrait être respectée pour tout le monde. Vous savez, le meilleur allié de la Chine, ce sont les Etats-Unis, le partenaire stratégique des Etats-Unis, c'est la Chine. Et donc s'ils peuvent s'entendre entre eux, pourquoi nous, on devrait être en mesure de choisir l'un ou l'autre ?
DW : Une entrée au sein des Brics pourrait-elle ou devrait-elle influencer la situation dans l'est de la RDC ?
Ça, il faut remarquer de manière assez claire que la question d'acquisition de matériel militaire a démontré qu'à un moment donné, il fallait quitter les obligations parfois assassines de l'Occident qui empêchait la RDC d'accéder à du matériel militaire alors que la RDC était en guerre. Et j'estime en passant que le fait d'avoir deux ailes qui se battent nous a permis de trouver un minimum de confort pour être en mesure de nous défendre.
DW : Ce que vous voulez dire par-là c'est si on est pro-occidental ou pro-Brics, il y a plus d'avantages pour la RDC dans la résolution de la crise à l'Est ?
La compétition nous sert pour l'instant. C'est très bien que les Brics et l'Occident se battent. Ça nous permet d'avoir des couloirs où on peut avoir mieux que ce qu'on pouvait avoir avec l'un ou avec l'autre.