Le choix des noms de lieux en Afrique n'est pas anodin
A l'occasion de la visite d'Emmanuel Macron en Algérie, le chercheur algérien Brahim Attoui revient sur l'importance du choix des noms de lieux, de rues, de places, dans un pays, pour souligner des événements ou des personnages historiques plutôt que d'autres. Il est interrogé par notre corresponsant à Alger, Tarek Draoui.
DW: Quels sont les moyens et outils qui sont mis en Afrique à la disposition de la discipline de l'onomastique ?
Aujourd’hui il n'y a que deux pays qui s’intéressent à la discipline de l’onomastique et de la toponymie, à savoir l’Afrique du Sud et l’Algérie. Dans le reste du continent, les études dédiées à ces disciplines sont très peu développées. Il y'a le groupe des experts de l'ONU qui s'est préoccupé du sujet dès1959. Le Task time for Africa, un groupe formé par les experts onusien était chargé depuis 2006 de faire le diagnostique et de formuler des propositions pour faire évoluer cette science au niveau du continent africain.
DW: Comment le nom d'un lieu peut-il influencer l'histoire et l'avenir d'un pays ?
Le nom d'un lieu représente l’identité. Chaque personne et chaque lieu sont représentés par un nom. Celui-ci fait partie intégrante du patrimoine d'une nation, l'UNESCO le considère comme faisant partie du patrimoine immatériel d'une nation. C'est par la toponymie qu'on s'identifie, cela renvoi à la langue, à l'histoire, aux lieux.
DW: Pouvez-vous nous citer un exemple ?
Prenez par exemple Djebel Djurdjura, la montagne Djurdjura, vous ne trouverez nulle part ailleurs cette dénomination. Elle renvoie immédiatement à l’Algérie et à une certaine langue qui représente une culture, une sensibilité, une affectivité. On ne nomme pas fortuitement. On nomme en fonction de son stock culturel et identitaire. C’est toute une profondeur culturelle et historique qui est véhiculée par le nom.
DW: En quoi la toponymie fait-elle partie du patrimoine d'un pays ?
Comme je vous le disais, on nomme en fonction de certains paramètres comme la culture et l'histoire. Prenez Alger, la rue ben M'hidi, par exemple, c'est toute une histoire liée à la guerre de libération. Qui est Ben M'hidi ? Ou alors Didouche Mourad, ou encore la rue Emir Abdelkader ou celle du 1er mai. En bref, en toponymie, il y a deux grande catégorie, il y'a l’odonymie, c'est-à-dire les noms de rues, plutôt politique. C'est un domaine réservé généralement à l'Etat. Par contre les noms des rivières, des montagnes ou des autres lieux qui ne sont pas urbains relèvent de ce qu'on appelle le génie populaire. En Algérie, vous avez million de toponymes ; les noms urbains ne constituent même pas le dixième. En Afrique, c'est pareil et c'est plus compliqué encore puisqu'il s'agit de noms tiré de langues non écrites, d'où la question de savoir comment les transcrire.
Si vous les écrivez, par exemple en latin, il y a automatiquement une perte de sens car les sons ne sont pas les mêmes. De l'arabe au latin se pose le même problème. Mais comme le monde est un petit village, on a inventé le système de romanisation, c'est à dire en caractère latin et la raison est toute simple. Sans la romanisation, vous allez en Chine, vous ne comprendrez rien, de même qu'un Chinois ne comprend rien aux caractères arabe. Avec ce système, c'est l'universalité des noms qui permet une accessibilité à tous les habitants du monde.
Est ce que vous pensez que la toponymie africaine a subi l'influence coloniale ?
Sans doute. Vous n'avez qu'à prendre les noms des villes africaines, ce sont des noms européens. Après l'indépendance, il y a eu des tentatives de reprise de noms du terroir mais ça n'a pas marché. Cela dit, il existe des vérités mal connues. Par exemple, en Algérie, on croit que la France a chamboulé la toponymie algérienne mais ce n'est pas du tout le cas. Il y a eu que 500 toponymes qui ont été francisés.
Que signifie pour vous le nom Afrique ?
Le nom Afrique provient du mot ifri qui signifie grotte ou les gens qui habitent les grottes. Le nom Afrique est attesté huit siècles avant JC. Il est mentionné dans les écrits de Carthage. Chez les habitants de l’Afrique du Nord, les libico-berbères. Ce n'est là toutefois qu'une hypothèse. Il en existe d'autres évidement.