Le Tchad et la RCA ont signé récemment plusieurs accords qui améliorent leur coopération militaire. Alors qu’une base militaire tchadienne a subi, le 27 octobre dernier, une attaque de Boko Haram, qui a fait au moins une quarantaine de morts parmi les militaires, Bangui a condamné cette attaque et plaide pour une mobilisation internationale en faveur du Tchad.
Pour Sylvie Baïpo Témon, ministre des Affaires étrangères, il n'y a pas de sujet tabou dans la relation entre Bangui et N’Djamena.
Interview de Sylvie Baïpo Témon
DW: Vous avez tenu la 15ᵉ commission mixte avec le Tchad, lequel a été frappé par Boko Haram. Comment réagissez-vous à cette attaque meurtrière ?
Nous condamnons vivement cette attaque meurtrière et nous sommes en totale solidarité avec nos frères et sœurs du Tchad.
Nous avons pris l'engagement d'être ensemble pour relever les défis et notamment les défis sécuritaires qui se trouvent au niveau de nos frontières, mais également de marquer davantage notre fraternité.
Mais il est temps que le terrorisme qui sévit dans la zone du Sahel, le Tchad ou autre, doit être combattu avec une solidarité au niveau international, mais une solidarité au niveau sous-régional.
On ne peut pas laisser qui que ce soit fragiliser notre république soeur qu'est le Tchad. En tout cas, c'est la position de la République Centrafricaine, qui que ce soit, .
DW : Vous avez envisagé de mettre en place une patrouille mixte. Est-ce que cette patrouille mixte peut aller au delà, par exemple pour aider le Tchad dans le cadre de l'agression dont il a fait l'objet ?
Nous avons effectivement signé trois accords. Nous avons signé notamment cet accord dont vous avez parlé, cet acte de création, donc de mise en place, de la force mixte pour la sécurisation de nos frontières.
Mais au delà de cela, nous avons également signé un accord en matière de sécurité, dans le respect de la souveraineté de chaque Etat.
Si la république sœur du Tchad sollicite un soutien, un appui de la République centrafricaine, la République centrafricaine se tient à ses côtés pour aider le Tchad à relever les défis qui peuvent être les siens.
Et nous sommes ensemble engagés face à cette lutte contre l'insécurité qui sévit dans notre sous-région et dans nos Etats.
Vous savez, la République centrafricaine, dans les efforts qu'elle mène dans le cadre du processus de retour à la paix.
Elle ne peut pas se satisfaire uniquement d'efforts au niveau national parce qu'elle restera fragilisée par la situation également dans les pays qui se trouvent tout le long de ses frontières.
Donc, certes, il y a une priorité de travailler au niveau national, mais nous œuvrons également à ce qu'au niveau de la sous-région que les autres Etats de la sous-région se trouvent aussi dans une situation de stabilité et qu'ensemble cela consolide davantage la sécurité nationale.
DW : La République centrafricaine accueille les Tchadiens qui sont venus ici en demandeurs d'asile. Il y a aussi, de l'autre côté, au Tchad, des Centrafricains qui ont pris les armes et qui trouvent aujourd'hui refuge au Tchad. Que prévoit concrètement l'accord tripartite que vous avez signé avec le Tchad, et participation du HCR, du fait de notre frontière commune ?
Il est naturellement évident que quand le Tchad se trouve en difficulté, que la population tchadienne migre vers la République centrafricaine, il en est de même quand la République centrafricaine se trouve en difficulté : la population centrafricaine migre vers le Tchad pour chercher justement des refuges avec le HCR.
C'est la mise en place justement d'un cadre légal qui permette que le HCR puisse apporter son soutien tant à la République du Tchad qu'à la République centrafricaine,apporter des solutions durables pour le retour des réfugiés qui sont arrivés dans ce cadre-là.
Il y a les réfugiés qui reviennent naturellement par eux-mêmes, mais il y a ceux aussi pour lesquels les causes qui les ont fait partir doivent être travaillées, doivent être garanties au niveau national pour leur permettre ce retour.
Et c'est comme ça que le HCR appuie nos deux pays pour permettre à ce que cela ne soit pas un poids de plus dans les difficultés que traversent les deux pays.
DW : La coopération avec la République du Tchad a connu des hauts et des bas. En 2021, par exemple, vous avez autorisé la fermeture de l'aérodrome de Cabo qui se trouve juste proche de la frontière avec le Tchad. Et le Tchad aussi redoutait la présence des paramilitaires russes qui se trouvent en République centrafricaine. Est-Cce que cette 15ᵉ commission mixte a pu dissiper tout malentendu ?
En 2021, il y a eu des situations de tension au niveau de nos frontières.
Vous avez également observé qu'une délégation avait été mandatée par le président de la République pour se rendre au Tchad pour discuter de ces sujets.
Et nous avons adopté la même procédure. À chaque fois qu'il y a un évènement, il faut communiquer, il faut se parler.
Il y a des différends, bien entendu, parce que nous ne sommes qu'humains de toute façon et que les activités peuvent parfois créer quelques frustrations.
Mais le tout, c'est de pouvoir s'asseoir et de discuter.
Et c'est ce que nous avons fait. Justement, le cliché qui était attribué à la relation entre le Tchad et la République centrafricaine s'est bien dissipé.
Nous avons traversé également des soubresauts, mais nous sommes restés très engagés dans notre volonté de travailler ensemble.
Et cette commission mixte a été l'aboutissement justement de ce long travail qui a été fait depuis des années dans le cadre de la diplomatie centrafricaine pour arriver à avoir justement une mise en œuvre de manière concrète, de tous les engagements que nous avons pris, de tous les accords que nous avons signés.
DW : Vous dites que la diplomatie est dynamique, qu'elle n'est pas statique, mais la relation séculaire avec la République du Tchad a montré aussi ses limites. C'est le cas par exemple du puits pétrolier centrafricain qui a fait l'objet de brouilles entre l'ancien président François Bozizé et feu le président Idriss Déby Itno et aussi l'ancien président Ange-félix Patassé.
Est ce que cette question, vous l'avez évoquée et qu'un jour la République centrafricaine puisse pouvoir exploiter son pétrole qui se trouve au sud du Tchad ?
Le tout, c'est de s'asseoir et de communiquer. Il n'y a pas de sujets tabous. Vous savez, il peut y avoir des périodes où ce n'est pas le bon moment, mais nous avançons et l'objectif c'est d'avancer, de faire en sorte que dans la défense de nos intérêts individuels, que nous défendons également nos intérêts communs.