'Réinventer le lien de l'Afrique au monde' (Mbougar Sarr)
Notre invité ce matin est l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr. Il est le lauréat 2021 du Prix Goncourt, le plus prestigieux des prix littéraires français. Mohamed Mbougar Sarr est ainsi récompensé pour son roman "La plus secrète mémoire des hommes", paru aux éditions Philippe Rey.
Jusque là, inconnu du grand public aussi bien en France, où il vit, qu'au Sénégal, le pays d'où il est originaire, Mohamed Mbougar Sarr est devenu à 31 ans le premier écrivain d'Afrique subsaharienne à être distingué par le prix Goncourt.
Comment a-t-il accueilli cette consécration ? Il le raconte au micro de Georges Ibrahim Tounkara
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DW : Mohamed Mbougar Sarr, bonjour! Quelles ont été vos premières réactions à l'annonce de ce prix Goncourt 2021?
Je l'ai partagé avec ma famille, avec mes amis, avec mes éditeurs. J'ai eu une pensée pour mes professeurs.
DW : Quelle signification accordez-vous à ce prix?
La joie de recevoir une reconnaissance littéraire qui est, non seulement dans l'espace francophone, mais aussi l'une des plus prestigieuses au monde. Je suis heureux d'avoir écrit ce livre-là.
On a beaucoup insisté sur le fait que j'étais le premier Africain subsaharien, l'un des plus jeunes [lauréats du Goncourt], sur le fait que c'était un signal donné à l'espace francophone... tout cela est vrai et tout cela a sans doute un sens ou aura un sens dans les prochaines années. Mais je pense qu'il faut d'abord poser la question littéraire, lire le livre, parler du livre, voir ce que ce livre a comme valeur littéraire.
DW : Quelles sont les questions que vous soulevez justement dans ce roman, "La plus secrète mémoire des hommes"?
J'ai essayé de soulever plusieurs questions. Il y a d'abord celle de l'écriture, du mystère de l'écriture,d e qui nous pousse à nous engager en littérature. Ensuite, il y a évidemment la question du silence de l'écrivain et la question également de la réception des écrivains africains dans l'espace occidental.
Toutes ces questions, je les pose à travers une vraie histoire, une vraie intrigue romanesque qui est celle de la quête d'un jeune écrivain sénégalais, Diégane Latyr Faye, qui cherche la trace d'un écrivain disparu, TC Elimane et tous le livres s'aricule autour de la quête que ce jeune écrivain fait aujourd'hui de cet écrivain mythique, légendaire, qui a disparu 80 ans auparavant et Diégane le cherche, donc, à travers des siècles d'histoire, à travers trois continents, il interroge les questions coloniales, les questions liées à la Shoa, les questions liées à l'écriture-même dans la première moitié du XXè siècle.
DW : Le prix Nobel de littérature 2021 a été aussi décerné à un auteur africain, un Tanzanien. Est-ce qu'aujourd'hui, avec tous ces prix, on peut parler de renaissance du livre en Afrique?
Non. Je pense que le livre en Afrique n'a jamais cessé d'être vivant, de circuler... peut-être difficilement, mais il était toujours là. Ce qu'on peut souligner, c'est peut être l'absence de politique culturelle forte pour le mettre plus en avant, pour le promouvoir davantage, pour mettre l'accent sur l'importance de la lecture et de la culture.
Plus généralement, de grands écrivains sur le continent n'ont jamais cessé d'écrire et de produire de grandes œuvres et il ne faudrait pas tomber dans le piège de se dire que, parce qu'ils sont reconnus soudain internationalement, soudain la littérature africaine existerait et se mettrait à renaître. Il faudrait peut être que le continent ait aussi des prix littéraires internationaux qui pourraient mettre en avant non seulement des écrivains africains, mais aussi des écrivains du monde entier.
DW : Vous suivez sans doute l'actualité en Afrique. Mohamed Mbougar Sarr, est-ce qu'il y a des sujets qui vous préoccupent en ce moment?
J'ai été très intéressé par ce qui s'est passé lors du dernier sommet Afrique-France, par exemple parce que je faisais partie de la commission qui a travaillé autour de Achille Mbembe. Je suis plus globalement l'évolution qui tente de se mettre en place entre la France et les anciennes colonies françaises sur le continent, qui sont maintenant des Etats indépendants, mais qui doivent gagner en souveraineté, en puissance et en dignité aussi.
DW : S'agissant des relations franco-africaines, certaines voix s'élèvent pour demander de couper le cordon ombilical avec la France. Comment réagissez-vous à cela, rompre avec la Françafrique ?
En la matière, j'écoute toutes les voix et et ceux qui appellent à une remise en question radicale des relations sont importantes, il faut écouter ce qu'elles disent. Mais il y a aussi d'autres voies qui plaident pour réinventer la relation avec le monde. Ne pas rester obnubilés par la France, mais avec le monde : le continent africain fait partie du monde et ne doit pas être obnubilé par la France parce que c'est une lutte que j'assume et je défends. Pour plus de souveraineté de nos pays.
Dans cette lutte-là, il y a plusieurs approches. Certains désirent dialoguer pour rééquilibrer la relation d'autres disent qu'il faut arrêter le dialogue. Ce sont deux positions, mais il y en a d'autres intermédiaires qu'il faut respecter.
Je pense que c'est vraiment en les mettant toutes en symbiose qu'on arrivera à quelque chose. Dans une lutte, il y a toujours des factions plus radicales qui sont à côté de factions plus modérées. Les deux factions peuvent peut être tout à fait ennemies tout en poursuivant, dans le fond, les mêmes objectifs.
J'ajouterai simplement que c'est vraiment d'abord à partir de ce continent que les Africains à travers le monde seront respectés et cesseront d'être tués. Il faut d'abord que sur le continent, nos élites politiques soient beaucoup plus courageuses, beaucoup plus humaines à l'égard de leurs populations et à partir de là, le reste du monde pourra être beaucoup plus respectueux à l'égard du continent africain. II faut aussi s'occupé des élites politiques corrompues, des élites politiques qui font peu à l'égard de la population et des élites politiques qui veulent s'éterniser au pouvoir, des élites politiques qui tuent. Voilà tout cela est à prendre en compte.