“Je vois un espèce de trou, on a éventré la terre. Et ces grosses machines qui sont allées sous terre à plusieurs centaines de mètres...” La plateforme Terra Nova sur laquelle se tient Michel K. Zongo est balayée par le vent.
Le trou qu’il décrit fait 450 mètres de profondeur et s’étend sur des dizaines de kilomètres, traversé par de grandes lignes beiges, noires et grises. Quelques touffes vertes éparses ont repoussé à flanc de colline, mais elles semblent perdues au milieu de ce paysage lunaire.
Ici on exploite du lignite à grande échelle. Appelé aussi “charbon brun”, c’est le combustible fossile le plus polluant au monde.
“J’ai l’impression d’être à Kalsaka”, s'étonne le réalisateur. Kalsaka, c’est un village du nord-ouest du Burkina Faso, le pays de Michel Zongo, qui est venu en Allemagne pour présenter son film documentaire “Pas d’or pour Kalsaka” au 18ème Festival du Film africain de Cologne. Un film qui raconte les promesses non tenues de l’exploitation minière et le désastre écologique et social qu’elle a entraîné.
À Kalsaka, c’est pour de l’or que les machines ont creusé les collines. Avec la caméra de Michel Zongo, nous suivons Jean-Baptiste Sawadogo, un activiste local, sur le chemin qui mène au site de la mine à ciel ouvert.
À Garzweiler comme à Kalsaka, la mine a tout dévoré sur son passage
Là où sont passées les pelleteuses, les tons bleutés des sédiments ferrugineux se sont mêlés à la terre rouge et ocre. Au fond d’un immense trou, un lac de couleur verte est apparu. Le paysage a complètement changé.
"Il y avait une colline qu’ils ont complètement rasée", explique Michel Zongo. "Avant la mine il y avait des champs, des forêts, tout un écosystème.”
À Garzweiler aussi, il y avait une forêt, des champs et des villages. Mais tout a été rasé pour extraire le précieux lignite.
Le troisième et dernier tronçon de la mine, Garzweiler 2, devait être exploité jusqu’en 2045. La sortie du charbon prévue pour 2038 oblige la compagnie à aller plus vite. Et si la nouvelle coalition gouvernementale tient ses promesses, l’arrêt de la mine pourrait même arriver dès 2030.
Jonas* fait partie d’un groupe de militants engagés contre l’exploitation de la mine de Garzweiler. C'est lui qui fait office de guide pour l’excursion organisée dans le cadre du Festival du film africain de Cologne.
“Le charbon qui est brûlé à partir de ces trois mines produit tellement de CO² que RWE est le principal émetteur de gaz à effet de serre d’Europe avec ce site", explique-t-il. "Ils ont commencé là-bas, dans un endroit qui s’appelle Hambach, et ils se déplacent en demi-cercle. Là où vous voyez cette grande colline, il y avait aussi un trou. Donc tout ce qu’ils retirent ici avec les pelleteuses, ils le transportent là-bas pour remblayer... Avant, le trou était beaucoup plus au nord.”
“J’ai du mal à estimer la distance, mais c'est énorme à quel point ils ont avancé vers le sud en très peu de temps", s'étonne Tom Meffert, qui a réalisé plusieurs films sur le combat des activistes de Hambach. Selon lui, cela est certainement lié aux discussions actuelles sur le charbon. "Tout ce qui a déjà été creusé leur permet de continuer d’avancer, même lentement.”
Le débat autour de l’exploitation du charbon a pris de l’ampleur en Allemagne ces dernières années, dans le contexte des mesures engagées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, considérées comme principales responsables du changement climatique.
Pompage de l'eau, assèchement et contamination
Mais l’exploitation minière n’est pas seulement un problème d’émissions polluantes, comme le constate Michel Zongo lors de son tournage à Kalsaka.
Le lac que l’on voit au fond de la mine, explique Jean-Baptiste Sawadogo dans le documentaire, provient du pompage de l’eau qui devait permettre d’aller chercher l’or encore plus profondément.
Mais la nappe souterraine était trop remplie et le travail a dû s’arrêter. Résultat : il y a six trous du même genre autour de Kalsaka.
"À voir la couleur étrange de l’eau, nous nous inquiétons de la qualité de notre eau potable. Nous avons peur”, confie Jean-Baptiste Sawadogo à Michel Zongo.
Ce dernier confirme: "Ils ont dynamité la roche souterraine, ce qui a fait lâcher du fer dans l’eau. Cela a aussi dévié le circuit intérieur de l’eau, donc les puits et les fontaines se sont asséchés, parce qu'avec le dérèglement de ces dynamites, certaines nappes se sont bouchées."
À Garzweiler aussi, l’exploitation du lignite exige un pompage de l’eau, 24 heures sur 24. Et comme à Kalsaka, cela a des effets néfastes sur la nappe phréatique dans la région tout entière.
Jonas, le guide de l’excursion, explique que les agriculteurs ont remarqué la baisse du niveau de l’eau jusqu’en Belgique et en Hollande, soit à au moins 30 kilomètres du site de la mine de Garzweiler.
“Il y a des conséquences sur l’agriculture, mais aussi sur les habitants des villages alentours", explique Jonas. "Il y a eu un affaissement du sol jusqu’à six mètres, ce qui a entraîné de nombreuses fissures dans les bâtiments. Et c’est très difficile pour les habitants d’obtenir des réparations car RWE a de très bons avocats et demande aux gens de prouver qu’il s’agit des conséquences du pompage.”
Poussières et particules fines au gré du vent
La poussière est une autre conséquence de la mine à ciel ouvert, raconte encore Jonas. Les particules fines se répandent à des dizaines de kilomètres à la faveur du vent, et elles sont chargées de produits toxiques comme le mercure... Pour Michel Zongo, encore un point commun avec Kalsaka.
“Les maisons qui sont situées à l’intérieur du village à peine 500 mètres, quand les dynamites explosaient, les maisons tremblaient, avaient des fissures. On retrouve le même parallèle. Le problème, c’est que personne n’est responsable de cela. La mine n’a jamais dédommagé les gens pour cela, n’a jamais rien fait. Les explosions provoquent de la poussière, pendant des heures. Ces explosifs sont à base d’amoniac, très nocifs pour la population.”
Lorsque le groupe de l’excursion quitte la plateforme Terra Nova pour rejoindre la forêt de Hambach où se poursuit notre reportage, Garzweiler et Kalsaka semblent déjà bien proches malgré les milliers de kilomètres qui les séparent...
“C’est la même chose au Burkina", constate Michel Zongo, "des fausses promesses, la même stratégie avec des avocats puissants, des textes puissants, beaucoup de corruption...”
Dans le prochain numéro de Vu d’Allemagne intitulé "Pour une poignée d'or et de charbon", on s’intéressera de plus près aux conséquences sociales de l’exploitation minière, mais aussi à la résistance qui s’est organisée ici et là contre les appétits des compagnies multinationales...
*Jonas est un nom d'emprunt
Merci à Michel Zongo, Jonas, et à l’équipe du festival du Film africain de Cologne qui ont permis ce reportage. Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast. Vous retrouvez tous les numéros dans la médiathèque, à écouter en ligne ou à télécharger en format MP3. Le podcast est également disponible sur certaines plateformes de podcasts.