A la veille du premier anniversaire de la guerre en Ukraine, le 24 février, les partisans de la paix ont peu de raisons d'être optimistes.
L'OTAN, réunie à Bruxelles, a promis d'accélérer ses livraisons d'armes et de munitions, afin de permettre aux forces ukrainiennes de résister aux Russes. L'Allemagne est en première ligne depuis qu'elle a accepté de livrer des chars Léopard, après bien des hésitations.
C'est dans ce contexte qu'un "Manifeste pour la paix" a été lancé sur internet le 10 février.
Le risque d'une troisième guerre mondiale
La pétition, initiée par la militante féministe Alice Schwarzer et Sahra Wagenknecht, ancienne dirigeante du parti Die Linke, réclame l'arrêt des livraisons d'armes à l'Ukraine et la constitution d'une "alliance forte pour un cessez-le-feu et l'ouverture de négociations". Elle met aussi en avant le risque d'escalade nucléaire du conflit, voire d'une troisième guerre mondiale.
En cinq jours, la pétition a recueilli près d'un demi-million de signatures. Elle a aussi essuyé une avalanche de critiques, notamment parce que des personnalités d'extrême-droite figurent parmi les signataires.
Engagé depuis plus de 50 ans dans le mouvement pour la paix, qui rassemble de nombreuses organisations, Otmar Steinbicker n'a pas voulu ajouter son nom à la pétition, principalement pour cette raison.
L'extrême-droite en embuscade
Le rédacteur de la revue Friedensforum se souvient que ce soutien a déjà porté préjudice au mouvement pour la paix, lors du précédent conflit entre la Russie et l'Ukraine...
"Nous avons eu un gros problème en 2014, au sein du mouvement pour la paix allemand. Il y a eu des tentatives massives d'influence de la part des Russes, une situation très étrange où l'extrême-droite a aussi exercé beaucoup d'influence. Certains membres du mouvement pour la paix se sont laissé aveugler par les chiffres : une énorme manifestation devait avoir lieu à Berlin, ils ont pensé qu'ils pourraient en profiter et ramener le débat à un niveau raisonnable, mais tout est allé de travers. (...) Lors de la grande manifestation, on a laissé diverses figures de l'extrême-droite marcher avec les organisations pacifistes. Au printemps, les grandes organisations pour la paix se sont rendu compte de la direction que cela prenait et se sont retirées."
Otmar Steinbicker espère que les organisations pacifistes ne se laisseront pas prendre une nouvelle fois au piège et qu'elles ne défileront pas le 25 février à Berlin aux côtés de représentants d'extrême-droite.
Anciens et nouveaux clivages dans le mouvement pacifiste
Certains membres de ces organisations ont toutefois déjà rallié la pétition signée par des personnes de tous bords, sociaux, religieux et politiques. Un curieux mélange qu'analyse le politologue Michael Zürn, directeur du département "Global Governance" au Centre scientifique de Berlin sur la recherche sociale (WZB).
"Il existe une nouvelle ligne de conflit au sein des sociétés occidentales entre d'un côté les partisans pro-libéraux, pour une société ouverte, et de l'autre les défenseurs des frontières nationales qui sont contre la mondialisation et contre l'Europe. C'est un clivage qui traverse étonnamment ce groupe. Les signataires de ce manifeste se trouvent davantage du côté communautariste et moins du côté cosmopolite de cette ligne de conflit. Cela ne correspond pas à la base sociale du mouvement pour la paix. Il y a certes des signataires issus du mouvement pour la paix, mais ce n'est pas LE mouvement pour la paix, c'est plutôt un groupe politique qui prend une certaine position dans cette guerre."
Pourquoi les militants pacifistes se laissent-ils embarquer dans ce genre d'initiatives malgré les mises en garde ? Pour Otmar Steinbicker, cela est lié à la composition hétérogène du mouvement.
"Il y a un fort courant religieux, d'autres viennent du milieu ouvrier et d'autres de la classe moyenne. Et plus la situation est complexe, plus il est difficile de trouver une position commune. Avant il suffisait souvent d'être 'contre", contre la guerre en Irak par exemple ou bien au début des années 1980, contre le stationnement de missiles. On pouvait facilement s'unir autour de deux ou trois slogans même en venant d'horizons différents. Dans la situation présente, c'est beaucoup plus difficile de trouver une position commune pour dire comment on veut ramener la paix en Ukraine."
Illustration de la difficulté de trouver une position commune actuellement : certains militants pacifistes approuvent les livraisons d'armes à l'Ukraine, explique encore Otmar Steinbicker.
"Il y a une minorité au sein des défenseurs de la paix qui estiment que la situation actuelle justifie de livrer des armes, ce n'est pas mon avis. Pour moi, il est essentiel qu'un mouvement de paix s'engage à mettre fin à la guerre et qu'il plaide dans l'opinion publique, à la manière d'un avocat, pour des alternatives à une solution militaire."
La polarisation du débat empêche la réflexion
Le militant pacifiste estime qu'il faut ouvrir des négociations pour espérer résoudre le conflit en Ukraine. Un an après le début de la guerre, explique-t-il, aucune des deux parties en conflit n'est en mesure de gagner.
Une idée qui laisse Barbara Kunz sceptique. La chercheuse à l'Institut de recherche sur la paix et la sécurité (IFSH) de Hambourg estime qu'un compromis est impossible à ce stade du conflit :
"Cette idée qu'il puisse y avoir des négociations entre l'Ukraine et la Russie me semble surréaliste, elle repose sur une analyse qui n'a rien à voir avec les faits sur le terrain. Quand on voit les objectifs de guerre de la Russie - du moins ce qu'on croit être ses objectifs - ils sont complètement incompatibles avec les objectifs de l'Ukraine, à commencer par son intégrité territoriale."
La chercheuse déplore une polarisation du débat en Allemagne. Elle regrette notamment qu'on ne puisse pas remettre en question les actions de l'OTAN sans se voir soupçonné de soutenir la Russie.
"Une bonne partie du débat allemand est juste passée dans un autre camp, sans que j'aie l'impression qu'il y ait vraiment une réflexion profonde. J'imagine que placer des appels à la paix est devenu beaucoup plus difficile. Avant, l'Allemagne était beaucoup plus pacifiste. Maintenant si avez des opinions pacifistes, on vous colle l'étiquette du camp pro-russe ou pro-Poutine."
Otmar Steinbicker confirme la difficulté de mener un débat dépassionné.
"Globalement, je trouve que la discussion est très émotionnelle en Allemagne, avec des positions pour ou contre. Cela me gène beaucoup et je préfère de loin le débat dans les médias américains, où on discute des différents scénarios de résolution du conflit, et où le débat n'est pas chargé d'émotion ni centré sur la personne du 'méchant' Poutine."
Un débat plus apaisé serait une première étape pour espérer la résolution d'un conflit qui s'enlise. Otmar Steinbicker conclut en citant un haut gradé américain : "les militaires ne peuvent pas apporter la paix, ils peuvent juste gagner du temps pour que les politiques puissent négocier la paix".
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Au Brésil, on bronze au scotch dans les favelas
Pour la deuxième partie de Vu d'Allemagne, on part loin de la guerre en Ukraine pour se rendre au Brésil.
C'est l'été là-bas et en ce moment tout le monde se rue à la plage... ou du moins aimerait y aller.
Pour les habitantes des favelas, les quartiers pauvres de Rio, y accéder n'est pas toujours facile, mais elles ne renoncent pas pour autant à leur bronzage !
Depuis quelques années, un nouveau style de bronzage est à la mode, celui que l’on obtient avec des maillots de bain en scotch isolant, en s’exposant sur les terrasses des favelas. La marque que laisse sur la peau ce maillot d'un genre particulier est nette et on l’obtient dans des salons de bronzage spécialisés. Notre correspondante Sarah Cozzolino s’est rendue dans le complexe de Favelas de Maré, dans la zone Nord de Rio. Ecoutez son reportage.
Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast.