Aujourd’hui encore, des femmes du monde entier sont victimes de violences fondées sur la croyance aux sorcières. Par exemple au Ghana, où près d’un millier de femmes seraient actuellement bannies de leurs villages car considérées comme des sorcières. Ces femmes sont souvent regroupées dans des camps situés dans le nord du pays, où elles tentent de fuir les persécutions.
La photographe Ann-Christine Woehrl s’y est rendu plusieurs fois pour faire le portrait de ces femmes. Ses photos sont désormais parues dans un livre. Niklas Mönch a rencontré la photographe à Paris. Elle est notre invitée de la semaine.
DW : Bonjour Ann-Christine Woehrl.
Bonjour Monsieur Mönch.
DW : Nous sommes ici à Paris, dans un bistrot. C'est ici, enfin pas très loin, que votre carrière a commencé chez David Turnly, un très grand photographe. Vous êtes franco-allemande, vous vivez à Munich depuis plusieurs années et vous venez de sortir un livre photos sur les sorcières au Ghana. Tout d'abord, comment est née l'idée de faire de faire ce projet?
L'idée m'est venue effectivement à Paris aussi. Quand j'ai lu dans Le Monde, en 2005, déjà, un tout petit article sur un de ces villages des camps sorcières dans le nord du Ghana. Et c'était un tout petit portrait qui m'a tellement interpellée et émue que j'ai décidé de trouver ces femmes et leur donner un visage.
C'était un début, ce projet qui a été suivi par d'autres travaux qui portent sur la stigmatisation. C’est devenu un sujet central d'un travail qui m'a poursuivie toutes ces dernières années, donc je le considère comme un travail très important et vraiment représentatif.
DW : Y a-t-il une photo dans le livre qui vous tient particulièrement à cœur ou bien une histoire qui vous a particulièrement marquée ?
Celle d’une femme qui, à l'époque, avait déjà 80 ans, qui était la cheffe du village. Et après m'avoir raconté son histoire dramatique, comment elle est arrivée à ce village en étant expulsée de leur communauté, presque battue à mort, comment j'ai pu la suivre après dans son village d'origine et vers sa famille, et de vivre ce moment se sont passées les retrouvailles et la réintégration dans sa famille.
Et l'autre histoire, c'est une femme que j'ai suivie aussi avec une ONG aussi fondée par un Ghanéen qui a essayé de réintégrer ces femmes dans leur communauté. Et donc, j'ai assisté à cette réintégration qui m'a fait comprendre à quel point ces persécutions et cette croyance dans la sorcellerie étaient ancrées dans la culture ghanéenne. À quel point c'était difficile, justement, de dépasser ces préjugés pour pouvoir réintégrer la société. Cette femme était tout simplement malade et il a pu enfin convaincre sa famille de la réintégrer.
DW : Est-ce que ces femmes que vous avez photographiées auront la chance de voir vos clichés au Ghana?
Comme j'ai réalisé ce travail en plusieurs voyages, une partie de ces femmes ont déjà retrouvé ces photos que j'ai fait imprimer et c'était un moment assez émouvant pour moi de voir à quel point elles étaient heureuses de se voir, peut-être pour la première fois en photos.
L'idée dans cette série de portraits, c'était quand même de donner une identité éloignée de la stigmatisation collective, qui prétend qu'elles sont sorcières, pour plutôt leur donner redonné cette identité de femme dans toute leur dignité. Et donc, je pense que c'est exactement ça ce qu'elles ont retrouvé aussi dans leurs photos.
Je compte repartir au Ghana pour justement faire partager les autres portraits que j'ai pu faire dans le dernier voyage. Et l'idée, c'est justement aussi de concrétiser une expo sur place et de les intégrer en conclusion.
DW : Etant originaire d'un autre environnement culturel - je rappelle que vous êtes franco-allemande - quel est votre regard sur ce phénomène en tant qu’Européenne aussi? Autrement dit, est-ce qu'il n'y a pas un risque, en travaillant sur ce sujet, de colporter des clichés sur l'Afrique?
Il est certain que j'ai un regard de l'extérieur, d'une part, mais en fait, dans toutes mes démarches, je recherche toujours la rencontre de femme à femme, d'un être humain à un autre humain. Donc, là, je ne vois pas du tout un regard de l'extérieur. Il faut penser simplement la rencontre et l'idée de ce projet aussi est qu'on a vraiment travaillé avec des Ghanéens. Le texte est écrit par une Ghanéenne, une avocate qui a travaillé avec ces femmes auparavant, une artiste ghanéenne qui a un collectif qui, elle aussi, fait son art en tant qu’activiste d'une certaine manière pour dénoncer des choses au Ghana. Je pense que le fait qu'on ait réalisé ce projet en collectif entre ces deux cultures ne me donne pas du tout un regard extérieur dans l'ensemble.
DW : Votre livre est disponible aux éditions Kéré. Merci d'avoir répondu au micro de la Deutsche Welle. Et bonne journée à vous!
Merci Monsieur Mönch!