Le sujet s’invite quotidiennement dans les discussions politiques, dans les foyers, ou dans les médias : l'Allemagne manque de main-d'œuvre. Ici c’est une clinique qui organise un speed-dating pour trouver des salariés, là c’est une grosse entreprise qui lance son propre programme de formations. Les exemples ne manquent pas. On parle, selon les études, de une à deux millions d'offres d'emploi non-pourvues dans tout le pays, le chiffre n’a jamais été aussi haut.
Quels secteurs sont touchés ?
"C'est désormais un problème qui existe dans tous les secteurs. Des métiers très différents sont concernés", explique Stefan Hardege, expert du marché du travail à la Chambre allemande de Commerce et d'Industrie, qui a récemment fait une étude sur le sujet. Il estime que plus d’une entreprise sur deux fait face à des difficultés pour recruter.
Particulièrement touché : le secteur du transport et de la logistique. Plus de 60.000 emplois non pourvus en février selon l’Agence pour l’emploi allemande. En deuxième position : les métiers de la vente. On parle là de plus de 55.000 places disponibles en février. Et juste après arrivent, et ce n’est pas une surprise, les métiers du soins et du social.
"Dans ce domaine social, il manque des travailleurs sociaux, des assistants sociaux ou encore des éducateurs", confirme Sabine Köhne-Finster, co-auteur d’une autre étude sur le sujet pour l'Institut économique allemand, un institut de recherche économique privé. "Il y a un manque aussi dans le domaine des soins aux personnes âgées et des soins infirmiers, mais d'autres secteurs, comme les métiers de la métallurgie et de l'électricité, manquent également de personnel qualifié et d'experts, de personnes diplômées de l'enseignement supérieur".
En février l’Agence pour l’emploi recensait plus de 50.000 emplois non pourvus dans le secteur médical. 37.000 dans celui de l’éducation et du social. Et la tendance ne devrait pas aller en s’améliorant : dans les soins on estime que c’est environ 7% des places qui n’étaient pas pourvues sur toute l’année 2022. Un chiffre qui pourrait passer à 35% en 2035, soit près de deux millions de postes.
Quels sont les raisons de la pénurie ?
Il y a d’abord un phénomène récent : celui lié à la Covid-19. Dans plusieurs secteurs, des milliers de personnes ont quitté leur emploi pendant la crise sanitaire. C'est le cas, par exemple, dans l’hôtellerie et la restauration, où plus de la moitié des effectifs totaux ont quitté leur travail pendant la pandémie. Cela a représenté près de 400.000 personnes en 2020. Des salariés qui ne sont souvent pas revenus dans leur emploi aujourd’hui la crise dépassée.
Et puis il y a aussi un phénomène plus naturel : celui du vieillissement de la population. La génération née après la seconde guerre mondiale, celle dite du "baby-boom", se dirige lentement vers la retraite. La part de la population âgée de plus de 65 ans ne cesse d’augmenter, et cela devrait se poursuivre dans les quinze ans à venir, car on prévoit sur la même période moins de naissances.
Quelles solutions face à ce phénomène ?
La première idée, souvent proposée, serait de faire appel aux personnes au chômage. Il y avait deux millions et demi de chômeurs enregistrés en mars. De quoi, à première vue, compenser toutes les places non pourvues... Mais l'équation n'est pas si simple à résoudre.
Une personne sans permis ne va pas être embauchée pour conduire un bus ou un camion, de même qu'un salarié formé à la vente ne va pas être prendre un poste de fabrication dans l’industrie ou dans une clinique. En clair, et les études le montrent : si les offres d’emplois ne sont pas pourvues, c’est souvent à cause, en partie au moins, de l’inadéquation entre offre et demande. Les personnes sans emplois ne possèdent pas forcément les qualifications attendues.
"Nous voyons qu'il faut renforcer les possibilités de formations professionnelles", insiste donc Sabine Köhne-Finster. "Il est également nécessaire de renforcer l'orientation professionnelle dans les universités et les écoles". Une nécessité accentuée par les besoins des entreprises qui changent. L’Allemagne veut se numériser, faire sa transition énergétique ou encore développer ses infrastructures de transports. Cela veut dire que des métiers disparaissent, d’autres demandes des compétences nouvelles. En début d’année le patron des chambres de commerce mettait en garde : sans assez de salariés l’Allemagne pourrait rater ces virages importants.
Alors autre solution pour répondre aux besoins : l’Allemagne veut attirer la main d’œuvre étrangère. Il faudrait à la République fédérale 400.000 personnes par an. Mais seulement 40.000 sont arrivées en 2022.
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Pour tenter d'augmenter ce nombre, le gouvernement fédéral vient de proposer un projet de loi visant à assouplir les règles d'obtention de visa et permis de travail pour les ressortissants de pays hors Union-européenne. Il ne serait par exemple plus nécessaire d’avoir une promesse de contrat de travail avant de venir s’installer en Allemagne. Il y aurait un système de points, calculant les chances d’intégration. L’Allemagne espère ainsi gagner 125.000 travailleurs de plus par an avec cette loi.
Mais cela ne suffira pas à combler les manques actuels et ceux qui se dessinent. Alors le marché du travail doit "intégrer plus de monde", insistent les experts. "Nous devons veiller à mieux exploiter les potentiels nationaux", répète Stefan Hardege. "Il faut, par exemple, employer plus de femmes, de seniors ou de chômeurs." Il y a notamment un réel potention à exploiter du coté des femmes. Car près de la moitié des travailleuses allemandes le sont aujourd’hui à temps partiel, ce qui représente neuf millions de personnes, dont trois millions et demi le sont contraintes à cause d’obligations familiales, pour s’occuper des enfants bien souvent.
Mais cela veut dire aussi, par exemple, permettre aux familles de mettre davantage leurs enfants en crèche… Et là les places sont trop peu nombreuses, par manque de personnel notamment ! Relever le défi du manque de personnel demandera donc des efforts et des politiques diverses, coté pouvoirs publiques et dans les entreprises.
Sujet réalisé avec l'aide de Dirk Kaufmann
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L'Italie manque de bébés
Comment convaincre les Italiens de faire des enfants ? La question peut sembler cocace. Pourtant, elle inquiète particulièrement en Italie. Au cours des dix dernières années, les naissances ont chuté de 25%. Au cours de l’année 2021, seules 400.249 naissances ont été enregistrées. Un nombre d'enfants par femme un des plus bas de l'Union européenne. A tel point que les autorités ont prévu courant mai d’organiser des Etats généraux de la natalité pour la troisième année consécutive. Mais pour l’instant, aucune mesure ne semble enrayer ce phénomène, profondément ancré dans la société italienne. Depuis Ascoli Piceno Cécile Debarge se penche sur le sujet en seconde partie de Vu d'Allemagne.
Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast. Vous retrouvez tous les numéros sur cette page, à écouter en ligne ou à télécharger en format MP3. Le podcast est également disponible sur certaines plateformes.