75 ans du pont aérien de Berlin : et les ennemis devinrent des amis // Un enfant de la guerre en quête de son identité
Lorsque la Seconde guerre mondiale prend fin, le 8 mai 1945, l'Allemagne est en ruine. Et il ne faut pas longtemps avant que l'ombre de la guerre froide plane sur la reconstruction de l'Allemagne occupée.
Les puissances victorieuses se sont partagé le pays en zones d'occupation. Elles ont fait de même avec la capitale Berlin : située au milieu de la zone soviétique, la ville est divisée en quatre secteurs : américain, britannique, français et soviétique.
Le Deutsche Mark, une menace pour Staline
L'îlot "occidental" de la ville abrite environ deux millions d'habitants. C'est le 20 juin 1948 que l'épreuve de force commence entre l'ouest et l'est : les Alliés décident de mettre en place une union monétaire. C'est la naissance du Deutsche Mark, une monnaie forte qui doit permettre à l'Allemagne de se stabiliser économiquement.
Le mark est instauré aussi à Berlin-Ouest, et le dirigeant soviétique Staline craint que cette nouvelle monnaie ne consacre le statut spécial de la ville comme tête de pont des alliés occidentaux au mileu de la zone soviétique. Pour Bernd von Kostka, directeur par intérim du musée des Alliés à Berlin, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase entre les anciens alliés de la guerre : "Une politique allemande commune était déjà très difficile et avec l'union monétaire, elle est devenue impossible", estime l'historien.
Le blocus de Berlin
Dans la nuit du 23 au 24 juin 1948, les Soviétiques bloquent tous les accès au secteur ouest de Berlin. Ils coupent aussi l'électricité. C'est le début du blocus de Berlin. Objectif : démoraliser les habitants afin de pousser les Alliés hors de la ville divisée.
Mais pour les Alliés, pas question d'abandonner Berlin, symboliquement considérée comme un avant-poste de la liberté, un rempart contre le communisme.
Alors que les Berlinois sont menacés de famine, le président américain Harry Truman décide de mettre en place une opération spectaculaire : l'approvisionnement par les airs des habitants de Berlin-Ouest, via les trois couloirs aériens garantis par un accord avec l'Union soviétique en 1945/46.
"La réflexion initiale d'organiser un pont aérien a reçu un accueil réservé. Mais il n'y avait pas d'alternative, et c'est comme cela que ce pont aérien provisoire, cette idée inimaginable de ravitailler deux millions de personnes par les airs, a commencé", témoigne Bernd Kotska.
Le pont aérien s'organise
Le 26 juin 1948, les premiers avions américains décollent des bases de Francfort et Wiesbaden, destination Berlin. Bientôt, les transporteurs voleront 24h sur 24. Toutes les 90 secondes, ils décollent et atterrissent sur les aéroports à Tempelhof, dans le secteur américain, Gatow, en zone britannique et, à partir de décembre 1948 à Tegel, le nouvel aéroport construit par les Français.
Il faut dire que Berlin-Ouest a besoin d'au moins 5000 à 6000 tonnes de nourriture et de charbon par jour pour faire face au blocus. Le point culminant est atteint mi-avril 1949 : en 24 heures, environ 1400 avions livrent près de 13.000 tonnes de fret.
Les pilotes du pont aérien sont en mission permanente. Souvent fatigués, ils risquent leur vie pour desservir la ville, quel que soit le temps. Certains avions s'écraseront d'ailleurs durant la mission.
Les appareils bimoteurs à hélices, surnommés "Rosinenbomber" par les Berlinois, volent si bas au-dessus de la ville avant leur atterrissage que l'équipage et les habitants peuvent se saluer de la main ! Certains pilotes larguent du chocolat et des chewing-gums pour les enfants avec de petits parachutes artisanaux.
Rapprochement américano-allemand
Le début du pont aérien marque aussi une césure dans les relations entre les forces américaines et les Allemands sous occupation. Gail Halvorsen, ancien pilote de l'armée américaine, témoigne dans une vidéo du site "Mémoire de la Nation", de la fondation Haus der Geschichte.
"La situation entre les Américains et les Allemands a beaucoup changé lorsque le pont aérien a commencé. J'avais un ami qui était ici avec les forces d'occupation américaine avant que le pont aérien commence et il a dit que lorsqu'ils allaient au restaurant, les Allemands se levaient et s'en allaient car ils ne voulaient pas être associés à eux. Mais après le blocus et l'acheminement de toute cette nourriture à deux millions de personnes à Berlin, il a dit que lorsqu'ils allaient au restaurant, les gens leur achetaient quelque chose à manger, quelque chose à boire "etwas zu essen, etwas zu trinken". C'était fantastique. Les ennemis sont devenus des amis, et cela a fait toute la différence dans le monde".
Plus les jours et les avions passent et plus les Alliés gagnent en sympathie auprès de la population allemande, mais aussi de l'opinion publique internationale.
Staline et l'effet boomerang
Finalement, Staline reconnaît sa défaite. Après 322 jours, le 12 mai 1949, il met fin au blocus de Berlin. Les Alliés ont alors livré plus de 2,1 millions de tonnes de vivres à Berlin-Ouest à l'aide de 260.000 avions !
Pour l'historien Walther Hofer, qui témoigne aussi sur le site "Mémoire de la Nation", la tentative de Staline a non seulement échoué mais s'est aussi transformée en boomerang:
"Staline a atteint le contraire de ce qu'il voulait. Il voulait obtenir des Alliés qu'ils arrêtent de mettre en place une ville ouest-allemande à Berlin. Mais le blocus a accéléré le processus. L'OTAN a été fondée, l'intégration occidentale a progressé. Le blocus de Berlin par Staline est l'un des plus mauvais calculs qu'un responsable politique ait jamais fait."
Les Allemands, eux, se sont sentis réintégrés dans la communauté occidentale, estime Bernd von Kostka, du Musée des Alliés.
"Les Allemands ont collaboré très étroitement avec les Alliés lors du pont aérien, ce qui fait qu'ils ont ressenti les forces occupantes comme des forces de protection."
Le pont aérien durera encore plusieurs mois après la levée du blocus. Le dernier vol, effectué par l'aviation britannique, a lieu le 6 octobre 1949. Pour les Alliés occidentaux, cet épisode constitue la première crise d'envergure surmontée ensemble depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce ne sera pas la dernière...
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Un enfant de la guerre retrouve ses racines allemandes
Léo Bernard est ce qu'on appelle un "enfant de la guerre". Né en 1943, il a été déclaré orphelin et n'a jamais connu ses parents.
Ce n'est qu'en 2012 qu'il accède à son dossier aux archives, après plusieurs demandes déboutées par l'État.
Léo Bernard découvre alors ses origines : sa mère est française, son père allemand. Il se rend compte qu'il fait partie des quelque 200.000 enfants surnommés "enfants de la honte".
Aujourd'hui, après de longues recherches, il a retrouvé la trace de sa famille outre-Rhin… Niklas Mönch l’a accompagné à Cologne.